Max Théon et la philosophie cosmique
Pascal Thémanlys

L'Initié

Francis Bacon déplorait qu'Atilla et les Goths soient venus en aide à Aristote pour accomplir la ruine des connaissances anciennes : "Après que la science humaine eut éprouvé ce terrible naufrage, dit-il, cette planche de la philosophie aristotélicienne fut sauvée comme étant quelque chose de plus léger et de moins solide."
0r, l'antique tradition n'était pas aussi perdue que le croyait Bacon. Ca et là, quelques petites fraternités conservèrent à travers les âges la pratique des vieilles doctrines et leurs meilleurs interprétations. Chez les Brahmanes, les Tibétains et les Aztèques, parmi les continuateurs des hermétistes, des cabbalistes, des bardes, des marabouts de l'islam, demeurèrent ainsi quelques filiations spirituelles. Dans l'empire des Tsars, existaient encore des sociétés nazaréennes, antitrinitaires et autres. En Asie et ailleurs, des ordres initiatiques gardèrent els sources cachées des religions et des philosophies. Ayant bu de très bonne heure à ces eaux pures, Max Théon alla visiter ensuite divers foyers initiatiques en vue de ramasser les morceaux épars de la sagesse ésotérique; puis, chargé du fardeau de science qui allégeait ses pas, il quitta l'Orient pour l'Occident, désireux d'y apporter une réponse à l'attente spirituelle, et l'on peut trouver l'exemple de sa mission dans ce beau texte de la Tradition cosmique :

L'Empereur de Chine, Vophi, s'adresse à une assemblée de sages de son royaume, et leur dit : "Vous êtes des Mages, et chez vous on s'attend à retrouver la sagesse. Puisque les peuples ne peuvent par aucun moyen comprendre la Langue Sacrée, ni recevoir ce qui est pour tous, sauf pour nous, occulte, donnez-leur de la lumière."
- Cette divulgation, objecta un des plus grands en puissance, cette divulgation de la lumière à ceux qui sont habitués à l'obscurité, ou pour le mieux au crépuscule, ne peut-elle les éblouir ou peut-être les aveugler ?
- Personne n'exige de vous, répliqua Vophi, que vous soyez comme des étourdis qui portent des flambeaux et courent çà et là jetant la clarté au visage des habitants, mais vous pouvez placer la lumière sur une hauteur, afin que quiconque le veut et le peut puisse monter vers elle, et que ceux qui le préfèrent demeurent dans les ténèbres. En outre, pour les néophytes et pour les initiés, n'y a-t-il pas parmi vous ceux qui comprennent les voiles ?
- Nous ne saisissons pas la signification de vos paroles.
- Dans cette confession, il y a beaucoup de tristesse. Ecoutez donc : la Langue Sacrée est une et immuable comme la connaissance cosmique qu'elle enveloppe. Les hommes peuvent venir et s'en aller, les nations peuvent s'élever et crouler ; invisibles ou incarnées, les ennemis de l'homme peuvent régner ou gouverner dans els hauts lieux, les lois peuvent se transformer, les mers remplacer les montagnes et les montagnes sortir des eaux profondes, ceux qui gardent la connaissance cosmique peuvent être forcés de se cacher sous l'apparence d'humbles artisans ou de fuir en des lieux solitaires pour échapper aux hostiles, toutes choses peuvent changer et disparaître, la vérité est immuable, éternelle, et l'homme peut l'approfondir. S'il n'en était pas ainsi, la vérité ne serait jamais cosmique. Dans le passé, il y a toujours eu en tous pays, des sages qui ont traduit tout ce qui leur semblait utile pour élever l'intelligence des initiés en une langue qui leur fut familière, ne voilant cette connaissance que dans la limite où la charité l'exigeait. S'il n'en est point parmi vous qui puissent le faire, quelle est votre raison d'être ?
- les temps sont dangereux et troublés, répondirent-ils. Notre pensée a été la suivante : Il vaut mieux rester silencieux, car si nous diffusons la lumière, si prudemment que cela soit, ceux que l'hostile obsède ou influence seront fous de rage contre nous. Si nous pouvons sauver nos vies, nous deviendrons un objet de haine ; on nous évitera comme des pestiférés.
- Celui qui place sa personnalité avant la cause pour laquelle il vit, est indigne de la connaissance, répliqua Vophi.
S'approchant d'un de ceux qui avaient ainsi parlé, il toucha son front de son doigt, et ajouta :
- En est-il un seul parmi vous qui désire à n'importe quel prix, sauf celui de la vie, manifester la lumière ?
Mais tous restèrent silencieux.
Il y eut alors un mouvement dans l'assemblée, et Vophi vit un très jeune homme vêtu d'un vieux vêtement blanc, qui s'efforçait de traverser la foule pour arriver jusqu'à lui. Mais les Mages l'en empêchaient.
- Laissez-le passer, dit Vophi.
Et quand il fut devant Vophi on put voir que les sandales de l'adolescent étaient usées et que l'empreinte de ses pas était tachée de sang.
- Que désirez-vous ? dit Vophi.
- Donnez-moi l'autorité et bénissez-moi, répondit-il, ô Vous qui êtes un avec Chi. Ainsi je serai capable de manifester la lumière, de même que je suis prêt à le faire.
- En quelle langue, parmi les quatre secondaires, révélerez-vous ce qu'on peut révéler de la Langue Sacrée ?
- Tout d'abord en la vôtre assurément, puisque c'est vous qui m'avez appelé. Ensuite, dans celle qu'il vous plaira. En cela je suivrai vos ordres.
Vophi lui prit la main et l'emmena à l'écart.
- Parlez-moi dans la Langue Sacrée, une et immuable.
Et l'adolescent, parlant dans la Langue Sacrée, lui répondit :
- Quand la chaîne de l'être intégral sera comme un cercle, dans lequel il n'y a aucune division, ce qu'on appelle l'Impersonnel sera la Personnalité Cosmique.
Vophi serra le jeune étranger dans ses bras et tous les deux entrèrent dans le Palais royal. Les Mages se regardèrent les uns les autres avec étonnement, et attendirent en silence. Puis l'un d'eux dit :
- Vophi ne reviendra pas, car les ombres de la nuit tombent. A-t-il agi par mépris pour nous, ou veut-il nous donner le temps de réfléchir ?
- Vophi, répliqua Abd, ne méprise personne, mais il n'attend point d'eau des puits desséchés. Dans sa joie de rencontrer ce jeune homme, il a oublié pour le moment votre existence.
- Quel est-il donc, demanda l'un d'eux, celui qui a voyagé de loin avec son vêtement usé et ses sandales déchirées, et dont els empreintes étaient tachées de sang ?
- C'est celui qui n'a trouvé sur la terre aucun lieu de repos, et pourtant il chercha parmi vous un refuge avec des larmes et des supplications.
- Nous n'avons jamais refusé l'hospitalité aux Mages. Doit-on attendre de nous que nous recevions à bras ouverts tout mendiant voyageur ?"

Grâce à l'inspiration qu'apportait parmi eux la présence de ce grand Initié, les Mages comprirent que les sens du goût et de l'odorat peuvent être perfectionnés jusqu'à la prédilection, le sens de l'ouïe jusqu'à la claire audience, la vue jusqu'à la clairvoyance et la prévoyance, et le toucher, sens primaire et universel, jusqu'à la prédiliction.

Ce grace récit évoque bien toute la responsabilité qu'assume l'Initié qui prend sur lui la tâche de divulguer la lumière.

Un autre texte, celui-là du roman cosmique Les réincarnations du Chaldéen, nous rappelle els allusions faites par Peter Davidson à l'arrivée de Max Théon en Angleterre. On y voit en effet un jeune initié venant l'île sacrée de l'Est (Ceylan), qui se présente aux druites de l'île sacrée de l'Ouest (Monah). Ceux-ci s'étonnent de son jeune âge. Il leur répond : "Mon initiation fut pourtant très sérieuse", et il leur confie qu'il sait par une intuition secrète que celle dont l'âme est soeur de son âme se trouve dans leur île. Les Druides expriment leur regret de ne connaître aucune jeune fille répondant à l'idéal qu'il indique. A son arrivée, la pierre d'équilibre est tombée, car il n'est pas encore marié et n'a pas rencontré l'élue. Et c'est pourtant dans cette île qu'il la retrouve.

Max Théon, qui fréquentait la haute société londonienne, rencontra dans une soirée une jeune poétesse irlandaise au visage calme et lumineux. Leur première poignée de mains leur révéla l'accord de leurs êtres profonds.

Il est peu probable qu'un Vophi terrestre et contemporain ait chargé Max Théon d'une mission dans le monde extérieur. Nous avons vu que Petr Davidson avait dit que ses frères initiés n'avaient pas pu désapprouver son désir de départ et son désir d'apporter de la lumière aux chercheurs occidentaux en raison même du fait, déjà mentionné, que la transmission de la connaissance est réalisée sans conditions et que chaque initié est libre d'en faire usage comme il l'entend. Mais ceux-ci lui avaient demandé de rompre toutes relations avec eux, ne voulant pas être mêlés aux responsabilités d'une oeuvre de divulgation.

Le Maître dit un jour que la plupart des initiations ne sont achevées qu'à l'âge de quarante ans, et que la sienne avait eu lieu quand il était exceptionnellement jeune.

Max Théon était sorti des cercles initiatiques orientaux jusqu'à un certain point comme Abraham sortit d'Our de Chaldée. S'il ne les considérait pas comme obscurcis et leur gardait toute sa vénération, il n'agissait pas de concert avec eux. Né en 1848, toute sa personnalité semble avoir été marquée par le souffle révolutionnaire de 48. Il ne pouvait se satisfaire d'horizons limités, et à maintes reprises, il se livra à des critiques véhémentes des croyances, des codes et des coutumes, des lois des Mèdes et des Perses "qui ne changent pas", des fausses morales qui corrompent l'humanité.

Quand il commença à se manifester en France, les bruits les plus divers coururent sur lui. Les uns parlaient de son immortalité terrestre, les autres le disaient fils d'un prince russe, mais l'origine de son raffinement aristocratique est certainement différente.

L'opinion fausse selon laquelle le Maître aurait été un enfant naturel s'appuyait sur deux faits : la fréquente défense des droits de l'enfant naturel dans les écrits cosmiques. Mais n'était-ce pas là un des thèmes des partisans de la justice à cette époque ? - Et d'autre part, les allusions qu'il faisait à sa mère, à l'exclusion de toute autre personne de sa parenté. Nous pensons que cela prouve l'admiration qu'il éprouvait envers le souvenir de sa mère qui avait choisi pour lui, telle Hanna pour son fils, une vie de consécration et de service spirituel symbolisé par ses cheveux longs que les ciseaux n'avaient jamais touché.

Parlant plusieurs langues, connaissant plusieurs métiers manuels, s'intéressant à mille problèmes divers, en sciences, en art, en sociologie, il acquit rapidement dans certains milieux une réputation comparable à celle du Cabbaliste Falk, ou du Comte de Saint-Germain. Mais il fut profondément déçu par les cercles occultistes occidentaux, par leur faible niveau intellectuel et leur fréquent déséquilibre.

Max Théon fit avec son épouse un voyage en France en 1888. Après avoir visité la région de Montpellier et de Toulouse, et l'Italie, ils acquirent à Tlemcen, en Algérie, une grande villa où ils devaient habiter de longues années, avec leur fidèle secrétaire, Melle Thérésa. Il est dit dans un livre cosmique que l'initiation suprême est celle de la dualité, c'est-à-dire de l'union spirituelle de l'homme et de la femme, image terrestre des "noces cosmiques". C'est en effet grâce aux dons prodigieux de Mme Théon qu'ils purent atteindre des degrés de connaissance encore inexplorée ou perdue. Dans un état intense de passivité contemplative et de concentration, ils descellèrent des sources auxquelles les initiés n'avaient plus la possibilité de s'abreuver. En vérité, seuls ceux qui se tiennent au sommet de la connaissance acquise peuvent recevoir un souffle nouveau.


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