EVOCATION DE MAIMONIDE

Dérogeant à l'écoulement linéaire des temps courants, l'horloge de l'histoire fait résonner en nos cœurs les dates flamboyantes évoquant les héros et les sages de toutes époques, phares resplendissants du savoir de l'humanité, qu'ils ne cessent d'éclairer et d'instruire.

Statue de Maïmonide à Cordoue
Ainsi se doit-on d'évoquer le huitième centenaire de la disparition du grand maître de la pensée judaïque, l'Aigle de la Synagogue, le Sage de Fostat (dans le vieux Caire), le dévoué médecin des Excellences aussi bien que des pauvres gens, l'Autre Moïse a-t-on dit déjà de son vivant : Moshé ben Maïmon ben Joseph, dit RaMbaM, né à Cordoue le 30 mars 1138 et ayant rejoint les "hayyé olam ha-ba" (la vie future) le 13 décembre 1204.

Rares sont les personnages bienfaisants pour leur entourage, dans le quotidien, qui ont réussi simultanément à écrire une œuvre considérable comme celle de Rambam, laquelle est toujours accessible et n'a cessé de nourrir la réflexion et la recherche des véritables valeurs non seulement pour le peuple juif mais pour tous ceux des nations qui se dévouent à la recherche de sagesse et de vérité.

Dans sa fidélité, le pratiquant de la religion juive évoque chaque jour les 13 principes de la foi édictés dans le Commentaire de la Mishnah (traité Sanhédrîin) et qui ont pris la forme populaire de l'hymne Yigdal (composé en Italie, début du XIVème siècle par Daniel ben Judah de Rome) ; une autre récitation en prose dont chaque article est précédé de l'affirmation "Ani Maamin", signifiant "Je crois" a été introduite dans la liturgie à partir de 1517 ; cette dernière est d'auteur inconnu et constitue le premier équivalent d'un "catéchisme" hébraïque, énonçant la récitation de principes pour la plupart d'ordre abstrait. Ces treize principes se divisent en trois groupes: les cinq premiers traitent de Dieu unique et incorporel ; les quatre suivants de la prophétie et de la Loi ; les quatre derniers des rétributions, de l'ère messianique et de la résurrection.

Chacun peut se référer aisément à l'une ou l'autre de ces formulations, qui expriment d'une façon un peu sèche et schématique l'essentiel d'une pensée développée tout au long d'une soixantaine d'années dans des discours, des entretiens, des épîtres et des écrits philosophiques volumineux dont on citera essentiellement :

Cette œuvre magistrale prend pour prétexte l'enseignement par Rabbi Moché à son disciple préféré, Joseph ibn Aqnin, de la méthode correcte d'interpréter le sens de l'Ecriture et d'évaluer la vérité de ses assertions. Il s'agit donc d'une œuvre pédagogique destinée à dissiper les perplexités manifestées par tout enfant d'Israël à l'égard des textes fondamentaux et des traditions du Judaïsme, en démontrant la cohérence de la révélation avec les exigences de la raison telle qu'elle a été définie par les philosophes de la Grèce (essentiellement Aristote) et leurs successeurs musulmans (tels al-Farabi, Avicenne, Averroès) ou juifs d'Espagne (Ibn Gabirol, Judah ha-Lévi, Abraham Ibn Ezra).

On ne peut pas résumer dans les limites de cette évocation les tenants et aboutissants de cette massive et d'ailleurs très détaillée étude portant sur toute la littérature biblique et post-biblique ainsi que sur les commentaires rabbiniques, d'une part, et d'autre part sur la compatibilité de leur enseignement avec les exigences de la logique et de la métaphysique classiques. Le postulat de Maïmonide tient à ce qu'il considère que l'Ecriture étant le verbe de D., son message doit s'identifier à la vérité. Par conséquent il faut substituer un sens figuré au sens littéral de tout passage qui s'avère en contradiction avec l'entendement vrai. Il en est ainsi, par exemple, pour les expressions apparemment anthropomorphiques appliquées à la créature divine et à ses émanations, lesquelles sont dépourvues de corporéité et d'affects. Comme résumé dans l'ouvrage cité ci-dessous, la vérité révélée ne peut contredire à la vérité philosophique; "la philosophie et la religion (...) sont deux sœurs jumelles".

RambamIl n'en demeure pas moins que dans la pensée profonde de Rambam l'origine divine de la Torah ainsi que le concept d'un Dieu vivant, créateur, dispensateur de lois et juge, par opposition à la notion de "substance infinie", sont deux principes centraux et essentiels de la religion, et tout Juif doit y adhérer, faute de quoi il devra être exclus de la communauté et châtié.

On ne peut pas, bien entendu, pénétrer sans préparation dans cet ouvrage qui demeure d'une importance existentielle toujours vivace après huit siècles de sa création. Une introduction très opportune est proposée par la réédition récente du livre de Maurice-Ruben Hayoun, "MAÏMONIDE ou l'autre Moïse", éd. Pocket, "Agora 279", 537 p.

Il est toujours possible de se procurer le "Guide des Egarés" traduit de l'arabe par Salomon Munk, dans l'édition Verdier, 2002, collection Les dix paroles, 700 pages.

Les lecteurs érudits liront en outre avec plaisir le livre récent d'IIi Gorliski, traduit de l'hébreu par Ph. Bobichon, sous le titre "Maïmonide-Averroès : une correspondance rêvée", éd. Maisonneuve, Paris 2004, 177 pages. Cet ouvrage est présenté par Mme Colette Sirat dont on connaît les travaux fondamentaux qu'elle a consacrés à LA PHILOSOPHIE JUIVE MEDIEVALE en Terre d'Islam, puis en Pays de Chrétienté (édité aux Presses du CNRS, Paris 1988).

Au terme de ces huit cents ans, maintenues continûment à leur rang de référence immuable, ou au contraire de matière à controverse soutenue soit par les rigoristes de la foi, soit par les partisans d'une prédominance mystique, les thèses de Maïmonide n'ont jamais cessé d'animer et de stimuler les penseurs en quête de la signification multiple des traditions judaïques.

(Article paru dans La lettre de la Victoire, septembre 2004)    


© J.R. Weill