LE VEAU ET LES CHATONS
(Fable)


C'est ébranler la loi de l'univers.
D'un conte ancien que vous soit profitable
La. mémoire exprimée en ces modernes vers.
Un saint rabbin flânant sur la place publique,
Ou plutôt méditant la sagesse biblique
Rencontre un tout jeune taureau
Qu'à l'abattoir sanglant entraîne
Le boucher, innocent bourreau
Qui pour l'attraper se démène.



Sous l'aile du manteau, le fauve
Pleurant croit trouver un abri
Et gémit que l'homme le sauve.
Mais le rabbin pensif, insensible à son cri
Décrète qu'au destin il doit obéissance :
"Tu fus à cette fin créé dès ta naissance"
Dit-il à l'animal, "ainsi le veut la loi
Et je ne puis rien faire hormis prier pour toi."

Après cet incident la tradition rapporte
Que le rabbin souffrit des maux de toute sorte.
Mais le ciel l'éprouva une nouvelle fois :



Un jour qu'en son logis la fidèle servante
s'efforce à récurer les coins les plus profonds,
Elle découvre deux chatons
Tout juste abandonnés par la mère indolente.
Alors d' un coup de son balai
Elle prétend chasser ces misérables hôtes.
"Dieu te pardonnera tes fautes,
"Mais ne fais ce qui lui déplaît",
Dit le maître arrêtant son geste.
Ne sais-tu qu'en les écritures
Il est dit que sur toutes créatures
Se répand la grâce céleste ?"
Le message atteignit le coeur du firmament
Qui fit cesser son châtiment.


© J.R. Weill