LA DANSE DE L'EPI D'OR
Jacques Weill

 

 

Dans le jour radieux
Sous la flamme des cieux
Je suis l'épi mûri qui danse dans la brise
Qui dodeline
Et qui s'incline
Et joyeux de danser à tout souffle me grise
Toujours couché, toujours me relevant
Je suis l'épi mûri qui danse dans le vent.


On m'a dit : épi mûr, en toi tout mon espoir.
On m'a dit : épi mûr, tu fais bien ton devoir
Et le matin et le soir
On m'est venu rendre des grâces.
Qu'importe ce sourire traître
Sot qui de moi te penses maître
De moi qui sans fin me délasse
Jusqu'au couchant, dès le levant
De moi, tout droit, qui me prélasse,
Et qui m'incline ivre et fou dans le vent.


Grains battus, farine, pain cuit
De tout le monde humain, esclaves et seigneurs
Qu'à votre sort mesquin je doive être réduit
Ne le croyez pas ou je meurs !
A votre vie utile et sans art et commune
Ne participera jamais mon âme ;
Car ma vie à moi sous la lune
A l'aurore, ou au ciel en flamme,
C'est de danser l'été joyeux
Le travail harassant, toute saveur exquise !
Et de chaque côté bénissant de mon mieux
Je suis l'épi mûri qui danse dans la brise.

(Lautrec, 1941)

 


Illustration : Hanna Sinaï

© J.R. Weill