PRIERE DE L'HOMME-DU-JOUR
A SON REVEIL
Jacques Weill

 

Lorsque Phoebée encor ne s'est point envolée,
Lorsque le coq hésite à briser de sa voix
L'union des sommeils, du mendiant jusqu'au roi,
Et lorsqu'en flots d'argent vient la blanche gelée,

Mon âme en sa torpeur par l'effroi désolée
Envisage ce jour comme un chemin de croix ;
Le café, la vaisselle, et les feux et les bois
Tournent en une danse éperdue, affolée...

Protège-moi, Seigneur, créateur de tout bien !
Fais que d'un bout à l'autre il ne me cloche rien,
Épargne-moi le lit, la mort ou la démence !

Alors tomba ce mot du maître souverain :
Souviens-toi, pauvre enfant, qui crois en ma clémence
que le "Jour" le plus sombre est une nuit qui vient !

(Lautrec, le 3 décembre 1941)

Ce sonnet satirique s'applique à une corvée d'usage dans les fermes collectivistes, telles le Chantier Rural E.I. de Lautrec : un membre à tour de rôle est désigné chaque jour pour aider aux travaux ménagers, qui sont habituellement gérés par les camarades féminines. C'est parfois une opportunité d'ébaucher des flirts innocents.

Edition originale du poème, paru dans la revue SOIS CHIC,
composée par les "défricheurs" de Lautrec


Photographie : Défrichage au Chantier de Lautrec, 1943.

© J.R. Weill