S C Y T O P O L I S
et les femmes de la Colline du Chêne
un roman de Barbara WEILL

Ed. Publishroom ; octobre 2021 ; 276 pages ; 21.0x14.8 cm ;
EAN : 9791023620702 ; ISBN : 979-1-023-62070-2
prix numérique : 6,99 € - prix papier : 19,50 €

On dit que sur la Colline
du Chêne des femmes,
qui se font appeler "les
prêtresses d 'Ashéra",
partagent une vie vouée
à l 'austérité et au
recueillement, mais
qu 'elles s 'unissent parfois
à des hommes au cours
de banquets nocturnes.

Levana nous révèle la
vérité sur cette
communauté qu 'elle a
dirigée pendant de longues
années. Mais elle nous
dévoile aussi ses doutes :
s 'agit-il de la meilleure
existence pour les femmes
de son temps ?
Et vont-elles pouvoir
survivre aux menaces du
fanatisme religieux qui
sévit en Galilée, orchestré
par les rois hasmonéens
qui règnent sur la terre
d'Israël ?
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Decitre

Chapitre 1

Bientôt je vais quitter ce monde. En cette fin d'après-midi, alors que le ciel transparent se pare déjà de teintes rosées, traversés par les nuages mauves, j'offre mon corps à la caresse du vent d'automne, et je dis merci.
Je remercie le Ciel de m'avoir offert une si belle et si longue vie. Merci de m'avoir fait vivre parmi ces femmes admirables, de m'avoir fait connaître des hommes qui m'ont comblée. Et merci, par-dessus tout pour la rencontre de Hadassa, ma mère spirituelle, qui a su avec une infinie bonté m'enseigner tout ce que je sais aujourd'hui.

Sur la Colline du Chêne. J'étais crainte et honorée de tous. On m'appelait "la bonne sorcière", car je savais guérir les maux les plus graves, je pouvais rendre au vieillard sa vigueur de jeune homme, et les habitants de la ville venaient me voir au grand jour pour recevoir mes soins. Les juifs nous pourchassaient et nous appelaient "les putains", mais ils se pressaient aux portes de notre Maison dès qu'ils avaient besoin d'aide.
Je présidais aux fêtes où les prêtresses s'unissaient à des hommes initiés, dans des étreintes savantes que je leur avais enseigné, et j'y prenais ma part. Je portais des robes de voile aux couleurs brillantes, des bijoux en or et en pierres précieuses ornaient mes poignets, mon cou, ma taille, mes chevilles, mon front. On me disait belle. Je n'avais pas la grâce des jeunes filles, mais je savais attirer à moi les hommages. La musique, les chants, les danses, le parfum des fleurs et de l'encens, tel était mon univers enchanté.
J'ignore ce qu'est devenue notre Maison depuis que je l'ai quittée brusquement, avec un grand chagrin. J'évoque le visage de mes compagnes, leurs sourires, leurs corps agiles, et je leur souhaite tout le bonheur possible là où elles se trouvent aujourd'hui.

Soudain le soleil se pare d'un rouge flamboyant et s'enfonce peu à peu dans l'horizon. Je vois se lever Noga, l'étoile de l'amour, bientôt rejointe par un mince croissant de lune qui l'entoure comme pour l'enlacer. Chaque soir, à cet instant, mes pensées se tournent vers l'homme que j'aime et qui reste niché dans mon cœur.
Es-tu encore vivant ? Es-tu plus heureux sans moi ? Dans la brise du soir je tends l'oreille de toutes mes forces pour entendre l'écho de ta voix. "Voici que vient voix de mon amant ! Le voici, il vient ! Il bondit sur les monts, il saute sur les collines" dit notre Cantique que j'ai chanté si souvent. Mais le souffle du vent ne m'apporte aucun message. Je dois me résigner : sur cette terre, nous ne nous rencontrerons plus.

Seuls mes souvenirs me permettent de sentir encore un peu ta présence. Mes doigts frôlent ta peau si pâle et les replis de ton corps comme si tu étais toujours à mes côtés. Mes seins se gonflent encore sous tes caresses, et malgré mon âge avancé, je sens une humidité sourdre de moi, comme si j'étais prête à t'accueillir.
C'est pour être encore avec toi que je vais écrire ces lignes. Un jour peut-être quelqu'un déterrera les jarres dans lesquelles j'enfouirai ces feuilles de papyrus, et saura que nous nous sommes aimés, et que si ma vie a connu bien des péripéties, c'est ta rencontre qui en fut le point culminant.
Pour toi je n'étais plus une prêtresse, plus une magicienne, j'étais simplement une femme nue. Et quand tes doigts, tes lèvres, parcouraient mon corps, j'oubliais tous les charmes dont je savais user avec d'autres hommes, je devenais une jeune vierge. Ce dépouillement auquel tu m'as contrainte m'a fait éprouver la vraie joie : celle qui unit le corps, le cœur et l'esprit. Je t'en remercie chaque jour.

Je sais que je te reverrai là où je vais aller, et que nous serons unis pour l'éternité, sous la protection d'Ashéra, la déesse heureuse, celle qui veut le bonheur de tous.
C'est la déesse m'a guidée pendant toute ma vie, avant même que je connaisse son existence. Elle a fait de moi, la fille du prêtre de Jérusalem, sa servante dans le sanctuaire que nous lui avons élevé. Elle m'a dévoilé les plaisirs charnels et ceux de l'amitié, et m'a enseigné la pratique de la médecine. A présent c'est elle qui va me conduire dans ce passage vers une autre lumière. A ses côtés je ne crains rien ; j'ai confiance.